Le choc de la modernité destructrice (1960)
L’installation de Brasilia et la construction de la route vers Belém bouleversent Frans Krajcberg, qui prend conscience de l’ampleur des destructions infligées à la nature. L’artiste change radicalement sa démarche : il ne s’agit plus de magnifier la nature, mais de hurler sa disparition. L’art devient engagé, dénonciateur, combatif."Ma sculpture est devenue engagée. C'est ma révolte que je veux exprimer."
Le manifeste d’un art écologique
Krajcberg rejette l’art pour l’art. Il cherche à créer une œuvre manifeste, viscérale, enracinée dans la douleur du monde. Ses matériaux – bois calcinés, cendres, fragments naturels – deviennent autant de symboles de la destruction. Il imagine des gestes radicaux pour faire parler les formes de la mort, et réveiller la conscience des spectateurs."Je cherche des formes à mon cri. Cette écorce brûlée, c’est moi."
Un pionnier de la conscience de l’Anthropocène
Bien avant que le terme soit vulgarisé, Krajcberg perçoit l’impact global de l’homme sur l’environnement. Il devient l’un des pères artistiques de l’Anthropocène, voyant dans l’art un levier essentiel pour refonder notre rapport au monde."L’art... au cœur de tout projet de civilisation, intégralement et radicalement."
Le tournant des années 1970 et 1980
Son engagement se renforce après l’exposition au Centre Pompidou (1975), où il affirme que l’art ne peut plus être déconnecté des réalités sociales et environnementales. Son reportage photographique "Queimadas" (1985), sur les forêts incendiées, marque une première : il utilise la photographie comme acte militant artistique.Une œuvre de chair, de mémoire et de lutte
Blessé par son passé de guerre, Krajcberg réactive cette douleur face à la forêt massacrée. Il entre en lien profond avec les peuples indigènes, se sent participant du vivant, porteur d’une parole animiste et universaliste. Son œuvre incarne une souffrance planétaire."Le massacre que j’ai vu dans la forêt amazonienne, je ne l’ai jamais vu ailleurs, même pendant la guerre."
Le Manifeste du Rio Negro et l’activisme international
Avec Restany et Baendereck, il lance en 1978 un manifeste dénonçant la destruction des forêts. Son engagement devient international, il expose à Cuba, New York, Séoul, Stockholm. Il rend hommage à Chico Mendes, assassiné en 1988, et milite avec le chef Raoni.Une reconnaissance institutionnelle mondiale (1990-2005)
Ses œuvres sont exposées à Moscou, Salvador, Rio, Paris. L’exposition "Imagens do Fogo" en 1992 attire des centaines de milliers de visiteurs. Il devient figure centrale du débat environnemental mondial, associé à des symposiums, congrès et grandes expositions.L’apogée avec le "Cri de Bagatelle" (2005)
L’exposition de Bagatelle à Paris, pendant l’Année du Brésil, marque un point culminant. Soutenu par la Ville de Paris, l’Unesco et les institutions brésiliennes, Krajcberg y lance son "Cri pour la Planète", dans un événement à la fois artistique, politique et pédagogique. 450 000 visiteurs en un an. Les enfants, en particulier, sont profondément touchés.