Morphose
Hugo Servanin
"Tout commence par la constitution d’une bibliothèque de corps, alimentée de moulages réalisés à même la peau par l’artiste dans son atelier. Un processus anatomique intime et minutieux, qui permet de saisir l’empreinte détaillée des chairs des modèles qui ont accepté de se prêter à ce pénible exercice : figer ses mouvements pendant des heures, prisonniers du plâtre qui se rigidifie.
Les fragments ainsi obtenus sont manipulés, augmentés, par la pose de broches, de prothèses, des assemblages et autres interventions chirurgicales. Ils deviennent corps de verre, d’argile et de gypse, à travers la production de tirages qui ont mobilisé de nombreux artisans et nécessité la mise au point d’une ingénierie et de savoir-faire spécialisés. Les figures qui en naissent, hybridées par ces opérations successives, deviennent peu à peu des projections spectrales, des chimères, les membres d’une société post-humaine où cohabitent et fusionnent les corps dans leur diversité.
Un ruisseau dont l’eau a été puisée dans le canal de l’Ourcq traverse un environnement évolutif et changeant, terrain de croissance de ces organismes. De corps en corps, d’une gouttière principale à de fins réseaux veineux, le flux pénètre, connecte, insuffle. Des plantes prennent racine et se déploient, des micro-organismes se développent et s’adaptent, des symbioses s’organisent, et c’est tout le bâtiment qui prend vie.
Ces êtres nouveaux, ces « Géants » comme les appelle Hugo Servanin, reflètent la nature fragile du corps humain. Ils nécessitent une attention et une maintenance de tous les jours. L’artiste et son équipe y veillent, faisant des Magasins Généraux une extension de l’atelier, une serre nucléaire où germent des mondes. Jusqu’à ce que la fin arrive. C’est le temps de l’embaumement, des corps céramisés, enveloppés dans des linceuls de verre et déposés inertes sur des bacs de rétention, à la manière de déchets industriels. Ils transmettent symboliquement au liquide qu’ils surplombent de quoi nourrir les vivants. La Morphose est un cycle, une chaîne de transformations corporelles interconnectées, un fantasme d’harmonie."
Commissariat : Anna Labouze & Keimis Henni