Wayang Kulit
Théâtre d'ombres de Java et Bali
Musée du Louvre
12 novembre 2024 – 23 mars 2025
Le Théâtre d’Ombres en Indonésie : Wayang Kulit
D’où vient cette tradition du théâtre d’ombres en Indonésie et quelles sont ses spécificités ?
Constance de Monbrison : Elle vient en grande partie de la mythologie indienne qui s’est mêlée à la mythologie indonésienne au cours des siècles. Les influences se répondent et offrent une grande palette de jeux et d’histoires.
On y trouve les épisodes classiques des épopées du Mahâbhârata et du Râmâyana, mais aussi des histoires légendaires purement javanaises comme celles du Prince Pandji ou de Damar Wulan.
L’idée géniale de montrer l’ombre d’une marionnette, son reflet à la lumière d’une lampe à huile, permet des effets de zoom ou au contraire d’éloignement, de floutage ou de netteté. Ce dispositif place les spectateurs du côté de l’ombre, dans un état imaginaire particulier.
Comment se déroule une représentation de wayang kulit ?
Julien Rousseau : Traditionnellement, le spectacle commence à la tombée de la nuit pour se terminer au lever du jour. Le théâtre est un lieu de vie où le public n’est pas censé rester statique. Les spectateurs peuvent s’installer devant l’écran, du côté des ombres, ou derrière, du côté du dalang et de l’orchestre.
Le dalang (le montreur d’ombres) manipule toutes les figures d’ombres et interprète les dialogues. Il dirige aussi le gamelan, l’orchestre de percussions et métallophones qui accompagne la représentation.
Les pièces classiques se déroulent en trois ou quatre actes. Le premier acte introduit le récit et son contexte philosophique, les actes suivants montent en intensité narrative, d’action et d’émotions. Le dernier acte met en scène les batailles finales et la résolution de l’intrigue.
Quelles sont les histoires les plus jouées ?
Constance de Monbrison : Selon les moments de l’année et les circonstances, on va plutôt jouer telle ou telle partie d’une épopée. En général, ce sont les moments-clés des épopées qui remportent la palme.
Il existe un cycle de mythes qui traite des origines de certains personnages importants du Râmâyana (centré sur l’histoire du prince Rama, qui est l’incarnation du dieu Vishnu). Le lien entre le Râmâyana et le Mahâbhârata est établi par le biais de la figure de Kresna (qui est également l’incarnation du dieu Vishnu).
Les épisodes les moins joués sont ceux des exorcismes ou encore ceux dans lesquels interviennent Calonarang, la sorcière balinaise. Ces épisodes sont performés pour rétablir l’ordre et demandent de la part du dalang une grande force intérieure.
Quels liens les spectateurs ont-ils avec les personnages de ces épopées ?
Constance de Monbrison : Les Javanais et les Balinais entretiennent des liens d’intimité avec les personnages légendaires. Il n’est pas rare d’entendre des personnes se référer aux pouvoirs de Bima, à la sagesse et à l’intelligence d’Arjuna, à la vivacité d’Hanoman ou encore aux multiples facettes du clown Semar, mi-homme mi-femme, considéré comme l’ancêtre des Javanais.
On peut avoir choisi un double mythologique et s’y référer dans sa vie quotidienne. Ces épopées proposent plusieurs degrés de lecture. Au-delà de l’intrigue et de l’histoire qui vous emportent, on peut y déceler tous les tiraillements inhérents à la nature humaine, nos personnages intérieurs, avec lesquels nous bataillons quotidiennement.
Le dalang, par son talent, sa culture et son humour, est un véritable enseignant-performeur.
Y a-t-il une figure du théâtre d’ombres qui vous touche particulièrement ?
Constance de Monbrison : J’aime beaucoup les personnages qui présentent des ambiguïtés, ceux que le destin place à mi-chemin entre l’ombre et la lumière, comme Karna, qui ignore qu’il est le fils du Soleil et de Kunti, la mère du clan Pandawa.
Né avec une cuirasse d’or, abandonné par sa mère, il est élevé par un cocher. C’est un héros radieux et sombre, franc et généreux. Fidèle au clan Kaurawa, son destin l’oppose à Arjuna, celui à qui il ressemble le plus. Tous deux ont pour père des dieux, tous deux sont d’excellents archers, tous deux possèdent des armes redoutables, tous deux sont marqués du sceau de la guerre.
Mais Arjuna est dans la lumière franche, tandis que Karna, par sa naissance mystérieuse, porte malgré lui « un secret de famille » qui lui sera révélé par Krishna à la veille de la grande bataille du Mahâbhârata. Le destin a placé ces deux êtres hors normes face-à-face, alors qu’ils sont demi-frères et auraient dû être des alliés.
Julien Rousseau : J’aime les personnages qui sont aussi des archétypes et des modèles en dehors de la scène, comme Arjuna, le héros du Mahâbhârata.
Ce prince incarne à la fois la détermination et l’intelligence, grâce à son tempérament juste et modéré en toute circonstance. En s’appuyant sur sa force mentale, Arjuna a développé des pouvoirs surnaturels. Qualités physiques et morales vont de pair dans l’iconographie du wayang kulit. On reconnaît Arjuna à son front plat et incliné, son nez allongé et son visage noir, propres aux personnages nobles au caractère puissant.
Figure en cuir peint du Ksatriya Arjuna
Musée du quai Brarty - Jacques Chirac
Arjuna, l'un des personnages centraux du Mahabharata, est un prince et un guerrier de la caste des Kshatriyas, issu du roi Pandu et de la reine Kunti.
Sa naissance est marquée par un événement divin, puisqu'il est le fils du dieu Indra, le dieu du ciel et du tonnerre, ce qui lui confère des capacités exceptionnelles.
Au-delà de ses origines divines, Arjuna incarne l'idéal du guerrier : courageux, habile au combat et profondément attaché à son devoir.
Ce devoir est mis à l'épreuve lors de la guerre de Kurukshetra, où il doit affronter ses cousins, les Kauravas, dans un conflit dévastateur.
Avant le début de cette guerre, alors qu'il se trouve pris de doutes et d'angoisse à l'idée de combattre ses proches, Arjuna reçoit l'enseignement spirituel de Krishna, qui lui révèle les principes du Bhagavad Gita, une philosophie de la dévotion, de l'action juste et du devoir moral, transformant ainsi Arjuna en un héros à la fois terrestre et spirituel.
Arjuna est également reconnu pour ses nombreux exploits.
L'un des plus célèbres est sa victoire au Swayamvara de Draupadi, où il prouve sa maîtrise de l'arc et de la flèche en accomplissant un exploit impossible : percer un œil de poisson suspendu au plafond en tirant une flèche tout en visant à travers un reflet.
Cet exploit le désigne comme l'époux de Draupadi, la princesse de Panchala, et scelle son destin.
Après la défaite humiliante des Pandavas lors des jeux de dés, Arjuna part en exil, où il accomplit plusieurs exploits surnaturels, recevant des armes divines telles que le Pashupatastra de Shiva et le Brahmastra de Brahma, qui feront de lui un combattant invincible.
Son rôle central dans la guerre de Kurukshetra est inégalé, et c'est lui qui inflige les coups décisifs aux plus grands guerriers des Kauravas, comme Bhishma et Drona. Mais ses exploits ne se limitent pas aux batailles : il est également responsable de la construction de la ville d'Indraprastha, le royaume des Pandavas, avant le début de l'exil.
Figure en cuir peint du Punakawan Bagong
Musée du quai Brarty - Jacques Chirac
Les Punakawan sont des figures emblématiques du théâtre d'ombres, servant de compagnons ou serviteurs des héros des épopées hindoues (Mahabharata ou Ramayana). Bien qu'ils ne figurent pas dans les textes originaux de ces épopées, ils ont été ajoutés dans la tradition javanaise pour refléter les préoccupations locales et offrir un lien avec le public.
Ils sont connus pour leur humour, leur sagesse et leur capacité à briser le quatrième mur en s'adressant directement au public. Ils commentent souvent les événements de l'histoire, critiquent les élites, et apportent une dimension morale ou spirituelle aux récits.
Les personnages principaux des Punakawan :
Semar :
Figure paternelle et spirituelle du groupe, Semar est souvent considéré comme une divinité déguisée en simple serviteur. Il symbolise la sagesse, l'humilité et la connexion divine.
Gareng :
Gareng est souvent maladroit ou boiteux, représentant l'imperfection humaine. Il est comique et parfois philosophe.
Petruk :
Long et maigre, Petruk est le rêveur du groupe. Il apporte légèreté et humour mais peut aussi se révéler intelligent et rusé.
Bagong :
Le plus comique des Punakawan, souvent décrit comme jovial et un peu grotesque. Il représente le bon sens populaire.
Commissariat : Constance de Monbrison, responsable des collections Insulinde au musée du quai Branly – Jacques Chirac
Julien Rousseau, responsable de l’unité patrimoniale Asie au musée du quai Branly – Jacques Chirac
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