Au fil de l'or
L'art de se vêtir de l'Orient au Soleil-Levant
Musée du quai Branly - Jacques Chirac
11 février 2025 – 06 juillet 2025
L’or, dont le nom dérive du latin aurum, qui signifie « briller », n’a eu de cesse de fasciner.
Métal malléable et facilement étirable, l’or a été utilisé dès la Haute Antiquité pour la réalisation de bijoux, de parures et d’armes. Conjuguant leurs savoir-faire et leur talent, les tisserands et les orfèvres du proche et du lointain Orient ont mis au point des techniques pour marier l’or aux fibres textiles par le tissage, la broderie mais aussi l’impression, transformant de simples tissus en étoffes exceptionnelles.
Du fait de leur nature organique et de leur extrême fragilité, peu de textiles anciens chargés d’or ont été retrouvés. Ce sont principalement les tombes royales, princières ou celles de nobles qui ont livré les plus abondants vestiges. D’autres tissus luxueux ornés d’or, issus des mondes byzantins, islamiques et de la Chine, sont parvenus en Europe dès le haut Moyen Âge, comme marchandises ou présentes diplomatiques. Destinées aux élites ainsi qu’aux dignitaires ecclésiastiques, certaines de ces étoffes ont été conservées dans les trésors des églises occidentales.
Réservé dans un premier temps aux riches et aux puissants, l’or a gagné en popularité au cours des siècles et son emploi s’est progressivement répandu dans les arts textiles d’un bout à l’autre du continent asiatique, puis dans les pays du Maghreb.
Cette exposition, conçue en étroite collaboration avec la créatrice chinoise Guo Pei, dont les sublimes et lumineux costumes ponctuent le parcours, dévoile la diversité et la richesse des tenues féminines brodées ou tissées d’or issues d’une vaste région allant du Maghreb au Japon en passant par les pays du Moyen-Orient, l’Inde et la Chine.
La quête de l’or
L’homme a été fasciné, dès la Préhistoire, par les pierres de couleur dont l’éclat chatoyant attirait son attention. Il a ainsi collecté, pour leur beauté, des minéraux comme le jaspe ou la galène. C’est dans le lit des rivières qu’il découvre l’or. Il lui suffit alors de ramasser dans le creux de sa main une poignée de sable aurifère – c’est-à-dire du sable charriant de l’or – et d’y prélever, du bout des doigts, les pépites et fines paillettes de ce métal.
Il cherche par la suite des méthodes plus efficaces pour la collecte de l’or. Pour filtrer les eaux des rivières et recueillir les fragments du précieux métal, il a l’idée de poser au fond de leur lit des peaux de bêtes. Piégées par la fourrure, les particules d’or s’y déposent. Bien que rudimentaire, cette technique, décrite par le géographe grec Strabon au 1er siècle avant votre ère, a très peu évolué au cours des âges. Au fil du temps, le nouveau « chercheur d’or » a eu recours à des tamis tressés. Parallèlement à la collecte dans le lit des rivières, l’homme se lance dans l’exploitation de l’or primaire, cet or natif qu’il extrait à partir de puits et de gisements, dès le 4e millénaire avant notre ère.
Tissus d’or de l’Orient méditerranéen et de l’Asie
Dès le 4e siècle avant notre ère, les expéditions lancées au cœur de l’Asie par Alexandre le Grand favorisent la circulation de produits précieux. La technique du tissage des fils d’or, connue dans l’Orient ancien, pénètre en Grèce. L’or rehausse les étoffes teintes à la pourpre, qui s’imposent dans les cités grecques comme un signe d’élégance et de raffinement. Rome, à son tour, est séduite par ces précieux tissus.
Au 5e siècle de notre ère, Byzance adopte le luxe oriental et les somptueuses étoffes brochées d’or sont désormais produites dans des manufactures impériales. Ce goût de l’apparat et du faste se répand dès le 8e siècle dans le monde musulman, où les robes d’honneur, réservées aux califes ou destinées aux grands dignitaires, sont réalisées dans des ateliers d’État appelés tirâz.
À l’autre extrémité de l’Asie, dans la Chine des Tang (618-907), l’or est marié à la soie, donnant naissance aux premières soieries brochées d’or qui connaissent leur essor sous les Jin (1115-1234). Mais les plus emblématiques de ces textiles tissés d’or sont les panni tartarici, les nasicci de Marco Polo, produits sous la période de domination mongole (13e-14e siècles).
Au 15e siècle, les artisans japonais développent leurs propres soieries tissées d’or, les kinran, destinées à la noblesse.
De la pépite aux fils d’or
Attiré par l’aspect singulier de l’or et par sa malléabilité, l’homme transforme dès le 5e millénaire avant notre ère, en les martelant, les pépites d’or en bractées, parures que l’on peut coudre sur les vêtements. Au 3e millénaire avant notre ère, les orfèvres syriens réalisent les premiers galons de fils d’or aplatis et tressés.
L’amélioration de l’affinage de l’or au 1er millénaire avant notre ère, procédé consistant à obtenir de l’or presque pur, va permettre la fabrication de fils d’or d’une extrême finesse qui peuvent être entrecroisés avec les fils des étoffes par broderie ou par tissage.
Le 1er siècle de notre ère marque l’apparition des filés or obtenus par l’enroulement en spirale d’une lame d’or autour d’une âme textile.
Après l’invention des filés or, les tisserands chercheront à développer de nouvelles techniques pour réaliser des fils d’or plus légers, plus malléables mais surtout moins onéreux. C’est ainsi que naquit l’idée de remplacer les bandes du précieux métal par des lamelles d’origine animale (cuir ou boyaux) ou végétale (papier), recouvertes d’or.
L’invention en 1946 aux États-Unis du Lurex®, fil composé d’un film polyester, révolutionne le concept des fils métalliques et démocratise le fil d’or en le mettant à la portée de tout un chacun.
Chasuble de Saint-Yves
Andalousie, 11e-12e siècles
Soie, lamelle organique (baudruche) enreoulée autour d’une âme en lin
Eglise paroissiale de Louannec (Côtes d’Armor)
Inv. 912.0043.1390
© Guy Artur, Norbert Lambart.
Costumes de lumière des pays du soleil couchant
Après la conquête du Maghreb par les Arabes au 7e siècle, un monde nouveau se dessine. Un monde dont les populations ont désormais le regard tourné vers l’Orient musulman et arabe.
À l’imitation des califes orientaux, les Fatimides (909-1171), qui règnent sur l’actuelle Tunisie, l’Égypte et une partie du Moyen-Orient, fondent à Mahdia (Tunisie) des manufactures royales où sont produites de riches étoffes tissées d’or et de soie.
À leur tour, les souverains Almohades (1130-1269), dont le pouvoir s’étend du Maghreb à l’Espagne musulmane, encouragent la production de ces soieries d’or.
Entre les 14e et 17e siècles, l’arrivée au Maghreb de plusieurs milliers de juifs et de musulmans expulsés d’Espagne par les Rois catholiques, parmi lesquels se trouvent des brodeurs d’or, s’accompagne d’un renouveau de l’artisanat du luxe. Pareilles aux femmes de Grenade, les citadines des classes aisées du Maghreb introduisent dans leur garde-robe des costumes réalisés dans des étoffes précieuses rehaussées d’or.
Parallèlement, les vêtements féminins se diversifient sous l’influence de la mode ottomane. Caftans, gilets, corselets, rehaussés de galons et de broderies d’or, révèlent une recherche accrue de raffinement qui se prolonge tout au long du 19e siècle.
Maroc
Du 11e au 16e siècle, le Maroc connaît une période de splendeur correspondant aux règnes de plusieurs dynasties qui, à l’apogée de leur pouvoir, contrôlent l’Andalousie musulmane au sud de l’Espagne et l’Afrique du Nord.
En 1492, après la prise de Grenade, les Rois catholiques ordonnent l’expulsion des musulmans et des juifs. Des flots d’exilés trouvent refuge au Maroc en y apportant leurs coutumes et leurs modes de vie.
Les riches femmes de Tétouan, de Salé et de Fès s’empressent d’adopter le costume andalou, en particulier celui des Grenadines. Le chroniqueur espagnol Luis del Mármol (1524-1600) raconte que les femmes de Fès, lorsqu’elles sortent, portent des robes blanches tissées d’or et de soie. En 1787, le diplomate français Louis de Chénier décrit l’élégance des femmes marocaines qui revêtent un caftan fermé à la taille par une large ceinture en velours de soie brodé d’or.
Caftan d’apparat. Rabat, Maroc.
Fin du 19e siècle-début du 20e siècle.
Filés métalliques, broché de soie, galons dorés.
© musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain
Le caftan, du persan khaftan, est un vêtement d’apparat ample à manches longues et larges.
Héritier de la candys des Perses, il constitue une pièce emblématique du costume oriental tel que représenté par les peintres orientalistes.
Ce vêtement connaît une grande vogue à la cour de Bagdad dès le 9e siècle.
On le retrouve dans l’Espagne musulmane, notamment à Grenade, où il est appelé marlota (ou mallouta en arabe).
C’est au cours du 16e siècle qu’il fait son apparition au Maroc.
Taillé dans de riches étoffes parfois brochées d’or, ce manteau fastueux est adopté par les citadines aisées et devient un symbole de prestige.
Tunisie
Au 13e siècle, Tunis devient la capitale d’un nouvel émirat, celui des Hafsides (1229-1547). Le premier souverain de cette dynastie s’entoure d’érudits sévillans qui ont trouvé refuge en Ifriqiya (actuelle Tunisie) à la suite de la prise de Valence et d’autres villes andalouses par les Chrétiens.
En 1609, des milliers de Morisques (musulmans d’Espagne forcés de se convertir), chassés d’Espagne par la Reconquista, sont accueillis par Osman, le dey de Tunis, qui régente la Tunisie au nom des Ottomans. Ces immigrés vont fortement contribuer à l’essor de plusieurs industries artisanales, notamment celle des soieries ornementées d’or.
Au 18e siècle, les femmes de la haute bourgeoisie, qui rivalisent par le luxe de leurs habits, lancent une mode vestimentaire associant des caftans et des gilets empruntés aux femmes turques à des pantalons longs empruntés aux femmes de Grenade.
Algérie
Aux 12e et 13e siècles, l’intensification des contacts avec l’Espagne musulmane stimule l’apparition de vêtements nouveaux. Les riches Constantinoises se parent de robes-tuniques qui se distinguent par la préciosité de leurs soieries et la richesse de leur plastron. À Alger, les femmes de la bourgeoisie adoptent un vêtement andalou d’origine orientale : le séroual.
En 1534, Alger est placée sous la tutelle du sultan ottoman Soliman le Magnifique (1494-1566). La ville s’épanouit et sa croissance se reflète dans l’évolution de ses costumes, désormais influencés par la mode ottomane. Brocarts, vestes de velours, caftans agrémentés de volumineux boutons de passementerie et ceintures viennent enrichir la garde-robe de l’élite algéroise.
En 1789, le drogman et orientaliste français Venture de Paradis décrit avec fascination la manière de se vêtir des Algéroises : « Lorsqu’elles vont en fête, elles mettent trois et quatre caftans dorés et descendant jusqu’à la cheville, les uns sur les autres. »
Caftan. Tlemcen, Algérie.
Début ou milieu du 19e siècle.
Velours, filés métalliques dorés.
© musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Pauline Guyon
Les caftans constituaient la tenue d’apparat par excellence des riches Algéroises. Jusqu’au 17e siècle, ils étaient taillés dans des brocarts, notamment des velours de soie importés de Turquie et plus précisément de Bursa.
Ce caftan se distingue par le décor raffiné qui agrémente son plastron. Celui-ci est constitué de galons d’or, de boutons de passementerie, d’appliques triangulaires entièrement recouvertes de fils d’or.
Disposées sous les seins, ces appliques, dont la forme évoque un oeil, ont sans doute une valeur protectrice.
Costumes d’apparat dans les pays d’orient
Dès l’expansion musulmane, au 7e siècle, le goût du luxe et des riches vêtements se répand dans le nouvel empire. Les soieries d’Iraq et d’Iran, les cotonnades du Yémen, les toiles de lin d’Égypte affluent vers les marchés des grandes villes. L’or apparaît dans un grand nombre de tissus, conséquence de l’accroissement des fortunes, mais surtout de l’arrivée massive au cours des premiers siècles de l’or du Soudan.
Sous la dynastie des Abbassides de Bagdad (750-1258), le grammairien Al Washasha’ évoque le raffinement des femmes de l’élite qui portent des manteaux en qasab, lin orné d’or.
En Égypte, d’après l’historien du 15e siècle Al-Maqrizi, les ateliers de Dabiq produisent de fines étoffes de lin ornées d’or destinées à la confection des vêtements des femmes des classes supérieures.
Dans sa description de Constantinople, le voyageur Jean Thévenot (1633-1667) raconte que les femmes turques « veulent presque toutes être vêtues de brocart ».
Adam Olearius (1603-1671), secrétaire de l’ambassade envoyée en 1636 auprès du Shah de Perse, ne cache pas son admiration devant les courtisanes qui viennent à sa rencontre et qui sont « […] très richement vestües, de toutes sortes de velours à fonds d’or & de toiles d’or & d’argent […] ».
Égypte
Tout au long de son histoire, l’Égypte a été une terre de prédilection pour l’art textile. Les Égyptiens ont tissé le lin et la laine dès les temps les plus anciens.
Après la conquête de l’Égypte par les Arabes en 640, le luxe des cours et le faste du cérémonial princier stimulent la production de somptueux et riches vêtements.
Sous la dynastie des Fatimides (971-1171), la soie remplace la laine dans les habits d’apparat et les broderies d’or s’étalent à profusion sur les costumes des souverains et des dignitaires.
Au 14e siècle, lors de son voyage en Orient, le franciscain irlandais Simon Fitzsimon décrit la splendeur des parures des femmes égyptiennes et note que les nobles portent des robes de soie ou d’or.
Au 16e siècle, après l’intégration de l’Égypte à l’Empire ottoman, les robes de soie et de velours, brochées ou brodées d’or, sont adoptées par les femmes de l’aristocratie mais également de la haute et de la moyenne bourgeoisie.
Le riche décor brodé de ce costume est réalisé selon la technique du dival. Proche parente de l’art des selliers (artisans du cuir), la broderie dival consiste à tendre des fils d’or sur un motif de carton finement découpé et collé sur le textile à décorer. Posés côte à côte par-dessus le rembourrage de carton, les fils d’or sont fixés par des fils de coton qui partent du revers de l’étoffe.
D’après l’indication fournie par le cordon de taille, ce costume daterait de 1880 et aurait été exécuté par Mme E. Cécile, le Caire. Étant données les dimensions de la robe et du corsage, et malgré leur poids considérable, il semble que ce vêtement a dû être fait pour une toute petite jeune femme.
Costume de mariage. Le Caire, Égypte.
1880. Satin, cannetilles, fils métalliques dorés (?).
© musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Pauline Guyon
Le riche décor brodé de ce costume est réalisé selon la technique du dival, qui est une variante de l’art des selliers. Cette broderie consiste à tendre des fils d’or sur un motif découpé dans un carton fin, que l'on fixe ensuite sur le textile. Les fils d’or sont posés côte à côte, au-dessus du rembourrage en carton, puis fixés par des fils de coton partant du revers de l’étoffe.
D’après une indication du cordon de taille, ce costume daterait de 1880 et aurait été exécuté par Mme E. Cécile, au Caire. Compte tenu des dimensions de la robe et du corsage, et malgré leur poids considérable, il semble que ce vêtement ait été conçu pour une très petite jeune femme.
Turquie
Les étoffes de luxe tiennent une place éminente dans la civilisation ottomane et tout particulièrement les kemha (lampas de soie enrichis de fils métalliques) et les telli çatma (velours brochés de fils métalliques). Les fils d’or qui les rehaussent sont produits dans des ateliers appelés simkeshane.
Au 16e siècle, ce sont les ateliers royaux d’Istanbul qui produisent les précieux tissus destinés à l’habillement impérial. Quant aux étoffes dédiées à la confection des vêtements de la noblesse, elles sont réalisées à Bursa, première capitale de l’Empire ottoman.
L’habillement des femmes fortunées se compose essentiellement d’une chemise de gaze ou de soie transparente, d’un pantalon bouffant (salvar), d’une robe de dessous avec des manches longues (entari) et d’un caftan enrichi de fils d’or. L’ensemble est complété par une ceinture et une coiffe.
Pour leur mariage, les femmes de l’élite ottomane ont adopté dès le 18e siècle une robe de velours ornée d’un entrelacs de feuillage au fil d’or qui lui a donné son nom de bindalli, « mille branches ». La mode de cette robe s’est répandue au 19e siècle dans tout le monde ottoman.
Robes de mariée bindalli. Turquie.
19e siècle.
Velours, filés métalliques, cannetilles, sequins.
© musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Pauline Guyon
Liban
Appelées qombaz, ces robes faisaient partie de la garde-robe des femmes druzes et maronites du Liban. Elles étaient portées sur une chemise et un pantalon à jambes bouffantes. Une coiffe, appelée tantour, complétait ce costume.
Henry Guys, consul de France à Beyrouth puis à Alep entre 1838 et 1847, nous apprend que les robes des princesses libanaises étaient « […] en tissu de soie et or, ou brodé ; surtout de velours noir ou cramoisi garni de galons ou franges en or » et que leur tête était ornée d’un tantour en or enrichi de pierres fines, de diamants et de perles.
Costume de fête qât. Bagdad, Iraq.
Fin du 19e siècle.
Taffetas (toile de soie), fils de soie, filés métalliques argentés, cordons torsadés, galons lamés et tressés.
© musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain
Les robes bindalli (littéralement « mille branches ») sont ornées de rameaux foisonnants et de nombreuses fleurs exotiques. Ces robes deviennent populaires dans tout l'Empire ottoman dès le 19e siècle.
Elles étaient portées par les jeunes filles juives et musulmanes lors de leur mariage, puis lors de fêtes et de cérémonies.
Le velours utilisé pour ces robes était fabriqué dans les ateliers royaux turcs à l’apogée du sultanat.
Plus la robe était brodée, plus la mariée était félicitée pour son art, car elle brodait elle-même sa robe de cérémonie.
Ce vêtement était porté entre Istanbul et Ankara.
Robes chamarrées de la presqu’île arabe
Après l’avènement de l’Islam au 7e siècle, marins et marchands arabes se lancent dans un commerce le long des côtes de l’océan Indien, jusqu’à la Chine.
Cette activité connaît une large expansion entre le 9e et le 13e siècles, grâce notamment aux progrès de la cartographie et au perfectionnement des instruments de navigation. Des produits de luxe, dont des soieries et brocarts tramés d’or venus d’Inde, de Perse et de Chine, affluent vers les ports de Sohar (Oman), Bassora (Iraq), Aden (Yémen) ou encore Djeddah (Arabie saoudite). Certaines de ces étoffes précieuses sont écoulées vers les marchés du Levant et d’Europe. D’autres, comme celles venues de Bagdad (Iraq), du Caire (Égypte) ou de Damas (Syrie), sont dédiées à l’habillement des souverains et de leur entourage. Si les femmes bédouines et sédentaires revêtent essentiellement des robes de laine ou de coton noir ou bleu et se couvrent parfois la tête d’un voile, les épouses des émirs se parent des plus belles « étoffes en fils d’or mélangés de soie », comme le raconte la voyageuse Lady Anne Blunt, qui effectua en 1878 un périple dans la région du Nejd (Arabie Saoudite) et évoque dans ses récits les robes des femmes de l’émir de la ville de Haïl.
Robe thob mutaffat Najd, Arabie saoudite
Vers 1950
Soie, broderies de filés métalliques argentés et dorés (point de chaînette), sequins
Don Denise et Hervé Halard © musée du quai Branly – Jacques Chirac, Photo Pauline Guyon
La robe thob mutaffat est portée par les femmes saoudiennes de haut rang lors des fêtes et des cérémonies.
Elle est confectionnée en taffetas, d'où son nom.
La broderie, réalisée à la machine, orne la robe de lignes sinueuses, dominées par des motifs floraux. Cette broderie, connue sous le nom d'aghabani en arabe, a longtemps été associée aux villes d’Alep et de Damas en Syrie, célèbres pour leur savoir-faire dans ce domaine.
Drapés d’or dans les mondes indiens et du sud-est asiatiques
Symbole de richesse spirituelle et matérielle, l’or (hiranya en sanskrit) est à la fois un matériau noble et une couleur associée à Lakshmi, une des principales déesses du panthéon hindouiste.
Dès l’Antiquité, les voyageurs européens mentionnent la beauté des étoffes indiennes dans leurs écrits. Au 4e siècle avant notre ère, Mégasthène, diplomate et historien grec, est envoyé en ambassade par le monarque macédonien Séleucos Ier Nicator auprès du souverain indien Chandragupta Maurya. Il observe, impressionné, ses hôtes parés de fines mousselines brodées d’or et d’argent. Dès lors, les artisans de la péninsule indienne n’ont eu de cesse de parfaire une diversité de techniques pour embellir leurs étoffes par le tissage, la broderie et l’impression à l’or. Ce métal précieux est omniprésent sur les costumes de mariage, en motif central ou en bordure des saris, coiffes, étoles et ceintures. L’Inde est également, avec la Chine, le principal fournisseur de fils d’or et d’argent des élites royales de l’Asie du Sud-Est. De l’Indonésie au Cambodge, les femmes de la noblesse se drapent de parures scintillantes lors de cérémonies rituelles et pour les danses de cour.
Inde
Les artisans de l’Inde, du Pakistan et du Bangladesh manient l’art du zari (du persan zar qui signifie « or »), un fil de métal en argent plaqué or, employé dans le tissage et la broderie. Il est fabriqué à partir d’un fil de soie appelé âme, autour duquel est torsadé une lame d’argent recouverte d’or. Dans toute la péninsule, la production de fils métalliques est intimement liée au travail de la soie.
Chaque région a sa spécialité. Lucknow, dans le nord de l’Inde, est un haut lieu du zardozi, une opulente broderie à motifs floraux et végétaux. Le district du Varanasi, dans l’État de l’Uttar Pradesh, est réputé pour ses tissages brillants (kimkhab) réalisés sur métier à tisser à la tire. Si cette province fabrique encore son fil d’or pour une clientèle de luxe, la production indienne a fortement décliné à partir des années 1970, progressivement remplacée par le Lurex®.
Ensemble de mariage chaugoshia. Hyderabad, Inde.
Première moitié du 20e siècle.
Soie, rubans dorés (gota), broderies aux fils métalliques (?), sequins. Robe de dessous : toile brochée, filés métalliques argentés, galons de lames et de filés métalliques, guirlandes de deux lames métalliques.
© musée du quai Branly – Jacques Chirac, Photo Pauline Guyon
Indonésie, Cambodge, Laos
En Asie du Sud-Est, porter de l’or est réservé aux cérémonies. La région, baptisée Chersonèse d’or (terre d’or) par l’astronome grec Ptolémée (vers 100-168), est riche de gisements aurifères, tant dans sa partie maritime que continentale.
L’introduction de fils d’or et d’argent résulte néanmoins d’un intense commerce intra-Asiatique développé bien avant l’arrivée des Européens à la fin du 15e siècle. Importés de Chine et d’Inde, les fils étaient échangés contre des produits locaux, en particulier des épices. En Indonésie, de somptueuses étoffes tissées, brodées ou imprimées d’or habillaient la noblesse de certaines sociétés traditionnelles comme les Malais (Orang Melayu), Minangkabau et Batak installés à Sumatra, Bornéo et Java. Jusqu’au début du 20e siècle, au Laos comme au Cambodge, l’or était le privilège de la royauté et des artistes de danse et de théâtre de cour qui interprétaient des rôles de princes, de princesses et de divinités. Seule exception, les jeunes mariés étaient autorisés à se vêtir comme roi et reine pour leurs célébrations de mariage.
Costumes d’or et de soie en Asie orientale
Synonyme de richesse et de privilège en Chine, l’or n’a cessé de fasciner au fil des dynasties. Dès le 3e siècle, les soieries façonnées de fils métalliques ( jin) connaissent un vif succès chez les marchands de la Route de la soie. Les nasij, étoffes entièrement tissées de fils d’or, prisées par la cour mongole du 13e siècle, sont produits par des artisans d’Asie centrale et d’Iran installés en Chine sous le règne de Khan (v.1162-1227). Plus tard, seule la famille impériale et les hauts dignitaires de la dynastie Ming (1368-1644) peuvent s’habiller d’or. Les élites parent leurs tuniques d’insignes rectangulaires brodés et tissés d’or pour communiquer leur rang au sein de la cour impériale.
Si le Japon féodal importe de Chine de luxueuses soies dorées, dès le 15e siècle le pays innove avec une production locale d’étoffes d’un raffinement inégalé. Les tisseurs du quartier de Nishijin, dans l’ancienne capitale impériale de Kyoto, se spécialisent dans des tissus complexes rehaussés d’or (kinran). Durant l’ère Edo (1603-1868), leurs créations font le bonheur de la noblesse et des courtisanes de haut rang, dont on admire les kimonos et ceintures obi aux décors chatoyants.
Chine
La broderie au fil d’or est un savoir-faire ancestral pratiqué dans les ateliers impériaux dès la dynastie Tang (618-907) et qui prospère sous la dynastie Qing (1644-1912). Les fils précieux sont couchés à même la surface du tissu à l’aide de discrets points de broderie pour former un contour ou un aplat doré.
La période Qing est la dernière dynastie impériale chinoise fondée par les Mandchous. Les femmes s’y distinguent par de somptueuses toilettes aux coupes différentes selon leurs origines, mandchoues ou han. Elles partagent néanmoins un véritable attrait pour de luxueuses soieries ennoblies d’un répertoire de motifs figuratifs et symboliques, notamment issus du bouddhisme et du taoïsme.
Dragons et oiseaux indiquent leur rang de dignitaires au sein de la société impériale. Chauves-souris, chrysanthèmes et idéogrammes porte-bonheur sont tissés et brodés de fils métalliques, le plus souvent des filés (nianjin) composés d’un fil de soie autour duquel est enroulé une fine lame d’or.
Armure guerrière nükao
Chine Début du 20e siècle
Satin de soie brodé, coton, filés organiques dorés et argentés, fils de soie, miroirs, pampilles en cuivre
© musée du quai Branly - Jacques Chirac
Inv. 71.1962.7.13 (don Fernande Louis-Martin)
Cette armure de théâtre pour femme, réalisée en satin bleu pâle, est ornée de broderies délicates faites de fils de soie colorés, de filés organiques dorés et argentés en point de couchure, ainsi que de miroirs, perles de verre et pampilles.
Elle fait partie du costume de l'opéra de Pékin (jingju), où chaque typologie de costume est associée à des éléments décoratifs spécifiques.
Les dragons volants à cinq griffes, brodés sur la ceinture (kaodu), signalent que le personnage incarné est une guerrière de la garde impériale.
Japon
En écriture kanji, kin 金 désigne à la fois le métal, la monnaie et la couleur de l’or.
Au Japon, l’art d’associer or et textile est multiple. Dès le 16e siècle, les kosode (ancien nom du kimono) sont décorés de la technique aujourd’hui oubliée du tsujigahana, qui mêle teinture en réserve, broderie et feuille d’or. Ces soieries sont précieusement conservées au sein des familles de la noblesse.
Sous l’ère Edo (1603-1868), les tissus brochés d’or sont utilisés pour les robes des moines bouddhistes, comme expression du pouvoir divin, et pour les costumes du théâtre nô. L’or s’invite aussi sur les kimonos des femmes de la haute société, objets de mode par excellence sur lesquels se déploient toutes les extravagances visuelles.
Les artisans textiles redoublent de créativité pour leur proposer de nouveaux motifs. Ils développent une méthode de fabrication de fils métalliques qui consiste à déposer une fine couche d’or sur du papier de riz (washi), qui est ensuite découpé en bandes et enroulé autour d’une âme de soie.
Manteau de mariée uchikake. Japon
Début du 20e siècle
Taffetas damassé, broderies, peinture, applications de feuilles d’or, filés organiques dorés et argentés
Don Kokusai Bunka Shinkokai
© musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Pauline Guyon
Un rêve de haute couture, le monde merveilleux de Guo Pei
Guo Pei fait partie de la première génération de créateurs de mode chinois. Elle est aussi une des premières du pays à s’être lancée dans la haute couture.
Guo Pei est née à Pékin en 1967, à une époque où la fantaisie et la coquetterie de la mode sont jugées indésirables. C’est aux côtés de sa mère qu’elle apprend très tôt l’art de manier le fil et l’aiguille. Sa petite enfance est par ailleurs bercée par les récits que lui conte sa grand-mère : des histoires du temps d’avant, sous la dynastie Qing (1644-1912), quand les dames rivalisaient d’élégance en costumes de soie brodée.
Dans les années 1980, Guo Pei s’oriente vers les métiers de la mode. À 30 ans, elle lance Rose Studio, un des premiers ateliers de mode-sur-mesure en Chine.
Elle se tourne quelques années plus tard vers la haute couture. Fascinée et inspirée par les mythes et les légendes, Guo Pei imagine des designs somptueux et surprenants qui mêlent les techniques ancestrales du fait main à une esthétique contemporaine audacieuse. Des robes où se mêlent les matériaux les plus fascinants : soie, cristaux, pierres précieuses, plumes, perles et surtout de l’or. Des créations au travers desquelles Guo Pei révèle avec fierté les trésors les plus sophistiqués de sa culture, associés aux modes orientales et occidentales.
https://www.guopei.com/
Guo Pei A/W 2016 Couture Collection Encounter
Robe : soie, broderies de fils de soie et d’or, sequins et cristaux Swarovski cousus à la main, strass, ornements en métal ; coiffe : cuivre
Pékin (Beijing), Chine
© Guo Pei, Chine. Photo Minghua LI
La confection de cette robe, pièce maîtresse de la collection Encounter (Rencontre), a requis plus de 20 000 heures de travail.
Le tissu a tout d’abord été transformé puis décoré minutieusement à l’aide de centaines de milliers de sequins, de fleurs et d’ornements dorés, tous cousus un par un par des artisans qualifiés. Onirique, cette robe audacieuse et presque surréaliste mêle l’originalité de sa conception à un savoir-faire traditionnel.
Commissariat : Hana Al Banna-Chidiac, ancienne responsable de l'unité patrimoniale Afrique du Nord et Moyen-Orient, musée du quai Branly Jacques Chirac, Paris
Magali An Berthon, Professeure assistante en Fashion Studies, American University of Paris, Paris, et membre associée, Centre for Textile Research, Université de Copenhague, Danemark
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