Illustration de Omar Ba (fragment)
Kaïdara
Poème allégorique en vers libres
Collecté et retranscrit par l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ
Un récit initiatique
"Long poème allégorique en vers libres, le conte Kaïdara fait le récit du voyage de trois hommes sur le chemin de la connaissance de soi et du monde. Guidés par une voix puissante et omnisciente, Hammadi, Hamtoudo et Dembourou se rendent au pays des génies-nains, où ils rencontreront le dieu Kaïdara. Des apparitions mystérieuses — animaux, plantes, êtres polymorphes — rythment leur voyage : onze figures s’adressent à eux dans des discours énigmatiques, ponctués de la même ritournelle :
Je suis le symbole du pays des génies-nains
et mon secret appartient à Kaïdara,
le lointain, le bien proche Kaïdara…
Quant à toi, fils d’Adam, va ton chemin.
vers 124-127
N’ayant pas la moindre idée du but de leur voyage, souffrant de faim et de soif, les voyageurs cheminent à travers d’épaisses forêts, des vallées infinies et des plaines arides :
Ils marchèrent le jour, ils marchèrent la nuit, ils marchèrent
sans chercher à savoir où la route voulait les conduire.
Ils se trouvaient attirés par une force invisible et puissante.
Sans volonté aucune, ils étaient aspirés, possédés.
vers 752-755
Au terme de ce périple initiatique, les trois compagnons rencontrent Kaïdara, dieu de l’or et de la connaissance dont le conte porte le nom.
Un siège en or pur fut disposé
sur lequel trônait un être humain
à sept têtes, douze bras, et en outre pourvu
de trente pieds dénombrables.v Qui était-ce ? Kaïdara le surnaturelv qui change de forme à volonté et dont chaque forme est unique.
vers 803-808
Métaphore du cosmos, Kaïdara est une émanation de Guéno, dieu tout-puissant du panthéon peul. Sans dévoiler aux voyageurs les significations secrètes des mystères qu’ils ont rencontrés, Kaïdara offre à chacun trois bœufs chargés d’or, leur recommandant d’en faire bon usage.

Les hommes retournent alors vers la surface de la terre. "Je consacrerai tout mon or à quérir le pouvoir", dit Dembourou. "Je ferai de mon or un bien meilleur usage… j’accroîtrai mes biens en quantités abondantes", réplique Hamtoudo, qui ne rêve que de richesse matérielle. Hammadi, quant à lui, n’aspire qu’au savoir :
Je forme le vœu de consacrer mon or
à quêter le sens des symboles observés.
Hormis cela, je n’ai point d’autres rêves en tête.
Certains croiront que mon souhait est folie.
D’autres l’estimeront bien modeste ambition.
Pour moi-même cependant, il n’est de plus grand but
que puisse s’assigner un homme sur cette terre.
vers 881-887
Ainsi, Hammadi se dépouille sans regret de son or en échange de trois conseils de sagesse qui lui permettront de triompher de trois épreuves, tandis que ses deux compagnons, aveuglés par le désir de pouvoir et de possession, périront avant même de rejoindre le monde visible.

Après vingt et un ans que dura son voyage, Hammadi est de retour parmi les siens. Devenu roi, il gouverne en souverain éclairé, mais sa bonne fortune ne suffit pas à le combler : son désir le plus grand est de comprendre le sens des mystères rencontrés lors de son voyage vers Kaïdara.

Toutes les réponses à ses interrogations lui seront finalement révélées par un vieux mendiant qui demande un jour à s’asseoir à sa table. Reconnaissant en l’étrange personnage son maître d’initiation, "océan de connaissance", Hammadi lui conte son périple. En retour, le vieillard commente les onze rencontres symboliques et en dévoile les multiples significations. À chaque révélation, une lumière immense jaillit, source de joie pour Hammadi, qui parachève ainsi son initiation.
Le savoir vrai est pareil à une lumière
qui vient de haut pour fondre les ténèbres de l’ignorance
comme l’éclair qui perce le gros nuage lourd
qui obscurcit et noircit le ciel alentour.
Pénétrant une âme, il lui assure joie, santé et paix ;
trois choses que les hommes souhaitent pour eux-mêmes
et ceux qu’ils aiment…
vers 2051-2057"
Editions Diane de Selliers – 2024

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