Olga de Amaral
Fondation Cartier pour l'art contemporain
12 octobre 2024 au 16 mars 2025
Tisser le paysage
Olga de Amaral
Tisser le paysage
Olga de Amaral introduit le crin de cheval dans ses œuvres dès la fin des années 1960. Cette fibre naturelle, épaisse et rigide, lui permet de dépasser l’échelle de ses premières œuvres et d’atteindre une forme de monumentalité. Pour Muro en rojos (Mur rouges) et Gran muro (Grand mur), des bandes rectangulaires monochromes, de différentes longueurs et épaisseurs, sont cousues une à une et de manière irrégulière, sur un support en coton. Ces œuvres évoquent les murs de briques typiques des constructions colombiennes ou des parterres de feuilles mortes. Les compositions de Entorno quieto 2 (Environnement calme 2) et Riscos en sombra (Falaises ombragées) reposent quant à elles sur un effet de moirage : les bandes tissées sont assemblées verticalement, face contre face. Leur surface, changeante et contrastée, vibre ainsi au gré de la lumière et projette, au soleil, l’ombre de la trame tissée. Ces pièces deviennent chacune des paysages à part entière. Construites à partir de strates de textiles superposées, pareilles à des couches géologiques ou des cartographies, elles nous invitent à partager l’admiration de l’artiste pour la nature colombienne : les montagnes rocailleuses, les vallées ou les rivières, notamment celles de la région de Medellín dont sa famille est originaire.
Brumas
Olga de Amaral
Brumas
Débutée en 2013, la série des Brumas compte aujourd’hui 34 pièces, dont 23 sont présentées dans cette salle. En 2018, la Fondation Cartier présentait déjà un premier ensemble de 6 de ces œuvres dans une exposition intitulée Géométries Sud, du Mexique à la Terre de Feu. Constituées de milliers de fils de coton enduits de gesso et recouverts de peinture acrylique, les Brumas apparaissent comme des représentations métaphoriques de l’eau et de l’air. Elles sont suspendues dans l’espace et tombent telle une pluie fine d’où naissent des formes géométriques colorées qui se reflètent dans les parois de verre. Avec cette série, Olga de Amaral s’éloigne des techniques de tissage classiques et réalise des œuvres dont les fils de coton sont simplement enduits et non plus entremêlés ou tissés. Créées plus de quinze ans auparavant, Bosque I y Bosque II (Forêt I et Forêt II), illustrent le procédé employé pour la réalisation des Brumas et sont une étape du passage de la planéité à la tridimensionnalité.
Les explorations artistiques
Olga de Amaral
Les explorations artistiques
Des premières œuvres d’Olga de Amaral dans les années 1960 à ses créations les plus contemporaines, l’étage inférieur propose de découvrir toute la richesse des explorations de l’artiste de ces cinq dernières décennies. Le parcours d’exposition est organisé chronologiquement et pensé selon différentes thématiques : l’héritage du modernisme et du Bauhaus, l’expérimentation autour des techniques et des matières, la recherche de la lumière, le textile comme un langage et enfi le lien avec le monde naturel et le territoire colombien.
Émancipées du mur, ce sont ici les œuvres qui modèlent l’espace et le parcours de visite. Si, pendant longtemps, les textiles ont principalement été considérés comme des éléments décoratifs, Olga de Amaral et l’ensemble du mouvement du Fiber Art n’auront de cesse de permettre aux œuvres textiles d’affirmer leur autonomie : elles deviennent cimaises, colonnes, contreforts, portails ; elles tracent des lignes, définissent des espaces et font elles-mêmes l’architecture. Le motif de la spirale, que l’on retrouve dans certaines des œuvres d’Olga de Amaral comme Núcleo I (Noyau I), a inspiré l’organisation de cette première salle : un symbole de fécondité, du mouvement infini de la vie et de la création, qui nous accompagne et nous guide vers la dernière salle où les Estelas, acmé de son œuvre, invitent à la contemplation et à la méditation.
L’héritage du modernisme
En 1954, Olga de Amaral quitte la Colombie pour étudier à l’Académie des arts de Cranbrook aux États-Unis. Influencé par l’école allemande du Bauhaus, l’enseignement dispensé repose sur l’abolition de la séparation traditionnelle entre artiste et artisan. Olga de Amaral y découvre
le design textile et le tissage, elle développe un intérêt profond pour la couleur et mène des expérimentations radicales avec la matière, la composition et la géométrie. Elle réalise ainsi des structures de tissage complexes, comme avec les Entrelazados (Entrelacés), constituées de bandes tissées de couleur et d’épaisseur variables qui s’entrecroisent, tout en introduisant de nouvelles matières dans ses compositions, comme avec Elementos rojo en fuego (Éléments rouges en feu), une œuvre pour laquelle elle emploie un mélange de laine et de crin de cheval.
Tisser, nouer, tresser, expérimenter
Dans les années 1970, Olga de Amaral joue avec de nouvelles matières et techniques afin de dépasser la planéité habituelle du textile : les fils de lin, de laine, de crin de cheval ou même de plastique (Luz blanca) sont tissés, tressés, parfois enroulés ou noués. L’œuvre Encalado en laca azul (Blanchiment à la chaux et laque bleue) est ainsi composée de bandes rectangulaires violettes et orange qui sont ensuite cousues une à une, de manière irrégulière et dense, sur un support en coton tissé. La pointe de ces bandes est peinte d’un turquoise vif rappelant les motifs de l’art plumaire précolombien.
Les Lienzos ceremoniales (Vêtements cérémoniels) sont quant à eux réalisés à partir de fils tressés, adossés à une construction textile en deux dimensions. La couleur ou la feuille d’or dessinent une ligne nette dans l’espace de l’œuvre, rappelant la géométrie de certains ponchos inca précolombiens auxquels elles font référence.
La recherche de la lumière
Tandis que les courants artistiques des années 1970 et 1980 laissent peu de place au spirituel, l’œuvre d’Olga de Amaral en est, au contraire, totalement empreinte. L’emploi de l’or est l’une des révolutions majeures de son langage artistique : qu’il réfracte ou absorbe la lumière,
il lui permet d’instaurer un dialogue entre différentes croyances. Car si le doré rappelle les autels des églises catholiques baroques de Bogotá, c’est aussi l’orfèvrerie précolombienne et sa connotation sacrée qui est évoquée dans les textiles d’Olga de Amaral.
Ses œuvres sont ainsi pensées comme des paysages mystiques, telles Agujero negro (Trou noir) pareille au phénomène d’astrophysique éponyme ou à une éclipse solaire, et Cesta lunar (Panier lunaire), dont la surface dorée réfl les rayons lumineux. La feuille d’or devient dès le milieu des années 1980 l’un de ses matériaux de prédilection, qu’elle l’applique sur les fide coton ou directement à la surface d’œuvres rendues rigides par le gesso. L’imprévisibilité du résultat, que l’on devine être une volonté de l’artiste, renforce le caractère mystique de ses pièces.
Le textile comme langage
Les mots "texte" et "textile" partagent la même racine étymologique : le latin texere, qui signifie à la fois tisser et raconter. Cette hybridité se trouvait déjà dans les quipus, un système complexe de conservation des informations utilisé par les Incas: des cordelettes nouées et colorées qui servaient de livres de comptes, de textes de loi ou de récits historiques. Les Nudos (Nœuds) d’Olga de Amaral sont un hommage direct à cet usage sémantique des fibres. De la même façon, les œuvres Escrito (Écrit) et Tablas (Planches) convoquent l’idée de la transcription dans le textile de la mémoire d’une personne, d’une époque ou d’un empire. Mais si, comme l’affirme Olga de Amaral, chaque fil est un mot, ce langage n’en reste pas moins indéchiffrable à qui n’en connaîtrait pas le code, comme dans l’œuvre Memorias (Mémoires) qui se regarde et se lit dans les deux sens, tel un fragile et mystérieux souvenir.
Un regard sur le territoire colombien
Olga de Amaral place sa fascination et sa curiosité pour la nature colombienne au cœur de ses réflexions artistiques. On entre ainsi dans ses œuvres comme dans un paysage. Tandis que Strata XV (Strate XV) semble figurer le sommet d’une montagne, peut-être l’iconique Sierra Nevada de Santa Marta, dans Cenit 2 (Zénith 2), c’est la cohabitation entre le monde naturel et les cultures industrielles qui est suggérée. C’est aussi parfois la métaphore des éléments et leur puissance qui intéressent l’artiste : l’eau, avec les œuvres Strata aqua I (Strate d’eau I) et Umbra verde (Ombre verte) qui rappellent les chutes d’eau du Salto del Tequendama, ou la terre, avec la série Tierra y fi a (Terre et fibre) dont les lignes dessinées par l’effet moiré évoquent les différentes strates géologiques et culturelles qui composent les montagnes andines
Estelas
Olga de Amaral
Estelas
Débutée en 1996, la série des Estelas compte aujourd’hui près de 70 pièces. Les stèles dorées sont composées d’une structure tissée en coton très rigide et recouvertes d’une épaisse couche de gesso, puis de peinture acrylique et de feuilles d’or qui font presque oublier le textile. À la fois mégalithes, totems, menhirs ou pierres stellaires, les Estelas rappellent les sculptures funéraires et votives monumentales des grands sites archéologiques précolombiens. Chacune des œuvres, par sa forme et ses motifs géométriques en bas-relief, semble nous raconter une histoire, une légende mythique et atemporelle témoignant ainsi de la fascination d’Olga de Amaral pour le mystérieux langage des pierres : "
Une pierre recèle le secret de l’univers. Ensemble ou séparément, les pierres apportent une réponse. Avec leur taille imposante et leur dignité, elles sont les maillons reliant la terre au ciel, la chair à l’esprit. Captive dans le silence de la pierre, il y a une réponse."
Commissariat : Marie Perennès, Aby Gaye
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