Exode 3:14. "
Dieu dit à Moïse : Je suis celui qui suis."
S'ils étaient nés avant la fin du siècle dernier, le selfie et sa perche auraient apporté une contribution décisive à la théorie lacanienne du stade du miroir et aux mythologies de Barthes.
Tirant profit de la puissance symbolique des images, le selfie construit des identités personnelles ou communautaires éphémères, en jouant sur les contextes sociaux (les individus deviennent fugitivement membres de la communauté choisie d’un "group selfie"), people (s’insinuent subrepticement dans l’intimité d’une star), touristiques (squattent un décor célèbre) ou héroïques (s’affichent dans une situation apparemment extrême).
Ces constructions éphémères sont rendues possibles par une mise en abîme vertigineuse. Dans le processus de prise de vue du selfie, le photographe devient son propre sujet, s’observant s’observer, se photographiant se photographier.
Les "selfeurs", libres de toutes formes de relations immédiates à l’autre et de toute intermédiation, si ce n’est purement technique, investis par la grâce de cette même technique de l’attribut divin de l’ubiquité, remettent en cause la frontière séparant l'identité de l'altérité.
Construisant leur identité visuelle, non pas dans un échange avec les autres, mais dans le reflet électronique de leurs propres regards, les "selfeurs" peuvent affirmer en écho au Dieu de Moïse : "Je suis celui qui suis."
Un instant de pure délectation pour tout individu, au demeurant conscient de l’absolue vacuité de son geste.
Genèse 1:26. "
Et Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière des ténèbres."